France, Poitiers, le 10 juin à 20h30.
Un courant d'air frais balaye une rue presque désertique, chose normale dans un quartier résidentiel à l'heure du repas. Presque désertique ? Il y a deux personnes, qui se croisent juste. La femme se tient les côtes, souffrant d'un mal de ventre sans précédent. L'autre n'est qu'un junkie, le genre de mec qui vous fait changer de trottoir dès que vous l'apercevez, avec ses veines sur le point d'éclatées et sa tête de défoncé perpétuel. Ses lèvres desséchées s'étirent en sourire horrifié. Horrifié vous dis-je ? En effet, son regard percute celui de cette ombre malade alors qu'un verrou saute dans sa tête et qu'un cri silencieux déforme les traits pâles de sa bouche. La femme se redresse petit à petit, l'air plus serein. Elle ne se tient plus les côtés, chose que l'on ne peut pas dire de celui qui l'a délivré.
Finalement, ces individus passent leur chemin. Elle sourit, rentre dans son studio d'étudiante, ravie de pouvoir passer sa première soirée avec menstrues sans médicaments... Il est prostré dans un coin sombre pour crever en paix, comme le bon camé qu'il est, persuadé que c'est le fix dégueulasse du dernier dealer qui a croisé sa route qui est responsable de son état, et non pas ce regard, ce simple regard avec cette simple femme.
Extrait du journal intime de Lena.
Cher journal,
Nous sommes aujourd'hui le 8 juillet. J'ai vu Michael. Il paraissait en forme après son fix... Ça fait bizarre de voir un pote accro à la cam avec un véritable sourire au visage. Il est revenu heureux. Attentif aux autres. Et pour une fois, il nous regardait vraiment. Comme si quelque chose avait sauté dans sa tête, lui rappelant que l'on était là, nous aussi ! Je dois l'accompagner ce soir: il paye tout et me promet un trip d'enfer. On tente ou pas ?
Je crois que je vais essayer... D'après les rumeurs, il n'y a qu'un seul dealer qui refile ça. Ça joue pas mal sur le cerveau, à ce que j'ai compris. Je flippe grave. Vraiment. A ce jour, j'ai 16 ans. Peut-être que demain, je ne serai plus là pour t'écrire le résultat de ce périple...
Faites que rien ne m'arrive. Il est bientôt minuit et j'ai du sable dans les yeux. Bonne nuit, cher ami ?
Oui. Bonne nuit...
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Cher journal,
Nous sommes aujourd'hui le 10 juillet. 23H50. J'ai la tête ailleurs, mais l'esprit assez clair pour écrire. Je n'ai absolument aucun souvenir d'hier. Juste une injection et une sensation d'euphorie, de plénitude. C'était... comment dire ?! Jamais encore je n'avais ressenti une telle extase. Seulement, je me sens différente. Mes pensées sont ordonnées, triées comme si c'était un automatisme. C'est... frustrant ? Ce n'est pas exceptionnel, mais moi qui suis une artiste, je réfléchis comme tel : tout est désordonné, tout fuse, rien n'est précis tout est subjectif. Sans aucune logique.
Pourtant, j'arrive à prendre plus de recul. Les heures passent et cette sensation s'ancre peu à peu en moi. Est-ce un mal ? Un bien ? Je me sens forte mentalement, ce qui n'était pas le cas avant.
Ce fix aura peut-être été une expérience positive finalement.
Il n'empêche que la nuit porte conseil. Mais avant je souhaite émettre une hypothèse. Et si cette substance développait une fonction du cerveau ? Parfois, j'ai la sensation que tout est plus vrai, plus fort. Plus violent, aussi.
Je divague sûrement. Il faut que je dorme. Je suis peut-être encore sous l'influence du fix.
Bonne nuit.
Lettre d'un scientifique déserteur à un parent.
Madame,
Sachez tout d'abord que si je vous contacte par courrier et non par voie directe, c'est par crainte que mes mots ne tombent entre de mauvaises mains. C'est pourquoi, une fois cette lettre terminée, je vous prierai de la détruire. Nous ne devons prendre aucun risque.
Je tiens à vous entretenir à propos de votre fils, Ridley. Depuis quelques temps, nous avons découvert que votre enfant possède un certain nombre de capacités dites "spéciales". Vous l'avez d'ailleurs peut-être remarqué: ces facultés agissent principalement sur le système émotionnel. Si celles-ci sont innofensives lorsqu'elles sont bien maîtrisées, l'Etat risquerait de s'y intéresser dangereusement, et l'avenir de Ridley serait entre leurs mains. Aussi, je vous conseille fortement d'écouter attentivement ce qui va suivre.
Ridley n'est pas seul. Il existe de nombreux autres adolescents dans son cas, et des adultes spécialisés pour les guider. Un établissement, l'Ecole Marie-Jeanne, est là pour permettre à ces jeunes gens d'apprendre à maîtriser leurs dons autant qu'à les aider sur la voie menant à l'âge adulte et à les protéger de la menace de l'Etat. Vous devez savoir que c'est la seule solution pour Ridley: tôt ou tard, les inspections républicaines découvriront ses facultés, et alors il sera trop tard pour l'enlever à leurs mains. Si vous désirez que votre fils grandisse et murisse en liberté, sans finir en tant que rat de laboratoire pour la Science, vous devez accepter ma proposition. Si c'est le cas, vous trouverez un numéro de téléphone joint à ce courrier: je vous prie de le mémoriser avant de le détruire. Je vous répondrai personnellement et vous fournirai toutes les informations que vous désireriez.
Je sais que cela peut vous paraître difficile à croire, et je comprends votre choc. Mais il faut faire vite. L'avenir de votre fils dépend de votre seule décision.
En vous priant, madame, d'accepter mes salutations distinguées,
Mr. George Ash.
En quelques lignes ça donne....
L'Ecole Marie-Jeanne a été fondée dans le but d'accueillir des jeunes qui ne sont ni surdoués ni en échec scolaire. Ce sont juste des adolescents qui ont profité d'une nouvelle drogue douce, dont la source est actuellement recherchée. La particularité de cette drogue ? Elle réveille 50 à 75% des capacités inutilisées du cerveau. Ces pouvoirs confirment les hypothèses déjà soulevées: tout ce qui relève de l'extrasensoriel repose sur ces zones endormies.
Des équipes scientifiques cherchent ces jeunes gens afin d'effectuer sur leur organisme diverses expérience. Des déserteurs essayent de contrecarrer leurs plans pour sauver ces adolescents. Des adultes comme vous et moi tentent de les aider à s'intégrer au sein de la société et éviter de se faire remarquer.
Bienvenue à l'Ecole Marie Jeanne.