Plusieurs heures à errer sous la pluie battante. A chercher, à tâtons, un lieu dont il ne savait presque rien. Il n'avait que ce parchemin, entre les mains. Maculé par l'eau qui tombait en grosses gouttes depuis les cieux. Rendu presque illisible. Qu'il compulsait tous les dix pas, pour tenter de comprendre, de se diriger. De prendre tous ces indices afin de leur donner un sens concret. Transposer l'irréel en faits. En carte au trésor.
Et, jaillissant comme une promesse rêveuse d'au milieu de toute cette fange, de tout ce merdier boueux et collant, il la vit.

Elle était là, juste en face de l'homme au masque. Bien plus vieille que lui, plus rouillée encore que son âme. La petite porte en fer, celle qui était perdue au milieu de nul part. Les indices floues des augures prenaient enfin une forme réelle, tangible. Tactile, ce qu'il constata en posant ses doigts longs et crochus sur la poignée. Il marmonna quelques mots, et la retira. Il observait les symboles qui venaient de se tracer sur la porte qu'il avait tenté d'ouvrir. Des caractères qui ressemblaient à s'y méprendre à des kanjis, mais qui n'en étaient pas. Du Fuinjutsu, un sceau de fermeture. Un sourire s'afficha sur les lèvres de l'homme au masque. Il chuchota encore, pendant quelques minutes. Puis, son ongle s'enfonça dans le métal de la porte, auréolé d'une lueur verte et malsaine. Il traça, par-dessus les symboles, une nouvelle suite de caractères. Trente-six secondes. C'est ce qu'il lui fallut pour détruire la rune et ôter la seule protection qui le séparait de l'intérieur de cette cave. Son sourire, de satisfait, passa à sinistre.

D'un coup de pied ferme et précis, il bouscula la vieille entrée, qui vola en arrière et retomba contre le sol dans un boucan pré-apocalyptique. Méfiant, l'homme au masque put déjouer les différents pièges de ce long couloir. Il y avait là à la fois des dispositifs, et des runes. Le vieillard sur lequel il était venu mettre la main était décidément plus que prudent ... Il était méthodique, précis, et surtout très talentueux. Dommage qu'il sache faire tant de choses : s'il s'était concentré sur une seule, avec un tel don, il aurait sans aucun doute pu empêcher qui que ce soit d'entrer. Mais l'homme au masque était bien meilleur que lui pour ce qui était des runes. Inutile d'espérer le stopper avec ces quelques tours de passe-passe proprement ridicules, d'un niveau bien trop faible pour lui. Quand à ses pièges plus terre-à-terre ... ils étaient trop grossiers pour qu'un observateur attentif ne puisse les voir.
Il arriva à la grande salle en un rien de temps. Et le vieillard était là, tranquillement attablé derrière son bureau. L'homme au masque était surpris : il s'était attendu à trouver là un homme sur ses gardes et pas aussi décontracté.

" J'étais certain que vous viendriez, Abaddon, mais je n'imaginais pas que vous seriez seul. Vous n'avez donc pas trouver d'alliés ? J'ai fait très attention, mais finalement, mes ennuis se terminent ici-même dès ce soir. "

Oh c'était donc cela. Ce vieillard n'était pas inquiet parce qu'il s'était présenté tout seul. Il était vrai que les quelques récits qui couraient sur cet homme avait de quoi lui laisser imaginer qu'il ne craignait rien. Dokate, aussi connu sous le nom de l'Historien. Ancien shinobi de Kami, qui avait cessé toute activité depuis bien trente ans. A la retraite, en somme. C'était surtout un Jounin exceptionnel et estimé, qui avait traversé de nombreuses épreuves. Et depuis qu'il avait raccroché les armes, il s'était mis à récolter des récits historiques où il pouvait en trouver. A parcourir le monde, à constituer une sorte de chronique. Il souhaitait la remettre aux dirigeants de l'alliance, afin que quelqu'un puisse continuer son oeuvre dans le futur. Retrouver le passé ...
Et justement, le dénommé Abaddon avait bien besoin de consulter les temps anciens. Il cherchait quelque chose de précis, une information destructrice qui mettrait le monde à feu et à sang et le propulserait tout en haut. Vers les sommets.

" Je ne suis pas venu chercher querelle, Dokate-senseï. Je cherche simplement la même chose que vous : retracer le passé. Je suis venu vous voir, pensant que vous pourriez me laisser consulter cette chronique que vous rédigez. Je pourrais peut-être même vous apporter quelques précisions sur cette dernière, si vous le souhaitez. Vous n'êtes jamais contre le fait de recevoir un témoignage, non ? "

" Senseï ? Ne te moque pas de moi, Abaddon. Je sais pertinemment qui se cache derrière ce masque. D'entre nous deux, ce n'est pas moi qui mérite d'être nommé ainsi. N'est-ce pas, Saruko-senseï ? Je savais que vous vivriez vieux ... les vôtres vivent tous vieux, de toute manière. Mais tant d'années ... L'âge me marque d'avantage que vous, n'est-ce pas ? Quel dommage que vous ne soyez pas un autre que vous-même. J'aurais aimé, à mon âge, avoir simplement à prendre un thé avec mon ancien maître ... Quelle tristesse. "

" Dois-je en conclure que ceci est un refus, Dokate ? "

" C'en est un. Même si vous avez été mon maître, vous ne pourrez jamais me le prendre de force. J'ai découvert, dans les temps anciens, des arts ninjas que vous ne pouvez même pas imaginer. Et je ne compte pas les mettre au service d'une cause telle que la vôtre. Partez, immédiatement, et disparaissez. En souvenir de nos belles années, je ne dirais rien aux autorités et vous pourrez mourir tranquillement. "

Mourir ? Voilà bien longtemps qu'Abaddon en avait abandonné l'idée. Non, ce qu'il souhaitait, c'était une toute autre chose. Un règne éternel, par exemple. Mais pour cela, l'Alliance devait tomber. Et pour qu'elle tombe, il lui fallait consulter ces fameuses chroniques.

" Nous prendrons le thé dans un autre monde, alors, Dokate. Surtout, prends soin de toi, nous ne nous reverrons pas avant très longtemps. Oui, très longtemps ... "

Il fit volte-face et commença à marcher vers la sortie. Puis se retourna ...

" Oh j'ai failli oublier d'emmener tes chroniques. "

" Hors de ques... ARGH ! "

Une lame venait soudainement de transpercer sa poitrine, directement au niveau du coeur, venant de derrière lui. Pourtant, il n'y avait personne derrière le fauteuil. Juste une épée, venue de nulle part.

" C'est de la ... sorcellerie ... ? "

Ce furent les derniers mots du vieux Dokate. L'air se floua derrière lui, et une silhouette apparue, petit à petit.


" Bon travail, Hanagata. Je prends le livre, et le parchemin, et nous repartons. Il reste beaucoup à faire. "

Un homme blond, lunettes de soleil sur les yeux, venait d'apparaître et de retirer l'arme. Comme s'il s'était téléporté ? Non, c'était autre chose ... Mais quoi ? En tous les cas, il avait réussi à ne pas se faire repérer du vieillard, et à le tuer net, sans commettre de bavure. Il nettoya rapidement son arme, et regarda Abaddon prendre le livre qui était caché dans un coffre garni de runes. Puis, il lui emboîta le pas, et disparu au beau milieu du chemin vers la sortie. D'abord il se floua, puis ... plus rien.

Abaddon caressa la reliure de l'ouvrage. Mission accomplie. Il le rangea dans son manteau, remit son capuchon par-dessus son visage masqué, et pénétra de nouveau dans le bruyant rideau de pluie.